Carte blanche par Demba Traoré, Niccolo’ Figa-Talamanca et Nicola Giovannini*

En ce 17 juillet, date qui marque l’anniversaire de l’adoption du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour Pénale Internationale (CPI), et où nous célébrons la Journée internationale de la justice pénale, il est opportun, pour nous militants radicaux qui avons lutté avec détermination pour sa création, de faire un premier bilan des dix ans d’existence opérationnelle de cet instrument essentiel dans la lutte contre l’impunité envers ces crimes graves qui menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde et secouent la conscience de l’humanité.

Le monde d’aujourd’hui est très différent de ce qu’il était il y a dix ans. Il y a désormais pour les victimes de ces crimes atroces une possibilité de voir la justice rendue, en conduisant les personnes qui portent la plus haute responsabilité dans leur planification ou incitation à répondre pénalement de leurs actes. Comme le démontrent le verdict et la sentence de 14 ans d’emprisonnement prononcés à l’encontre de Thomas Lubanga, fondateur et ancien commandant en chef des Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC) et fondateur de l’Union patriotique congolaise, la CPI peut jouer un rôle de dissuasion déterminant envers tous ceux qui envisagent de commettre des crimes graves en violation du droit international, à l’instar de la conscription, l’enrôlement ou l’utilisation d’enfants soldats dans le cadre d’un conflit. De même, en émettant des mandats d’arrêt à l’encontre de hauts dignitaires voire de chefs d’Etat comme le Président Soudanais Omar Al Bashir, la CPI contribue à envoyer un message clair et ferme : quel que soit votre rang, vous serez amenez à répondre de vos actes. En d’autres termes l’impunité n’est plus de mise pour ceux qui entendent conquérir le pouvoir ou s’y maintenir par la violence, en commettant des violations massives des droits humains et du droit international humanitaire.

Comme nous le savons tous, en tant qu’instrument de dernier recours, la CPI n’agit que lorsque l’Etat compétent ne veut pas ou n’est pas en mesure d’enquêter et de poursuivre les crimes les plus graves aux yeux de la communauté internationale, commis au sein de sa juridiction nationale. En vertu du principe de complémentarité sur lequel se fonde la CPI, c’est aux Etats qu’incombe la responsabilité première d’enquêter et de poursuivre les crimes relevant de la compétence de la Cour. De même, une fois activée la compétence de la Cour, l’efficacité de son action dépend aussi de la pleine coopération de la communauté internationale et, en particulier, des Etats parties dans l’exécution de ses opérations et décisions.

Nombre de mandats d’arrêts émis à ce jour demeurent ainsi inexécutés, par manque de volonté de la part de certains Etats d’offrir, conformément à leurs obligations, leur plein soutien à l’application des décisions de la CPI. L’année dernière, un certain nombre d’États membres de la CPI ont violé leurs obligations contenues dans le Statut de Rome, en recevant impunément Omar Al Bashir sur leur territoire.

En agissant de la sorte, ces Etats ont renié leur engagement d’être du côté des victimes et non de leurs tortionnaires. En accueillant un criminel de guerre présumé et recherché, ils ont bafoué le droit à la réparation et à l’établissement de la vérité et de la justice pour les populations du Soudan et du Darfour.

La récente et courageuse décision du Malawi de ne pas abriter la session de Juillet 2012 de l’Union Africaine, au motif qu’il n’entendait pas inviter Omar Al Bashir, constitue un progrès salutaire dans la coopération attendue des Etats.

De la même manière, nous ne pouvons que regretter et condamner la caution accordée par l’Union africaine au refus de coopération avec la CPI, qui est en contradiction flagrante avec l’engagement, inscrit dans son acte constitutif, de lutter contre l’impunité et pour l’affirmation de la justice pénale internationale. En outre, les motifs invoqués pour justifier cette décision sont pour le moins troubles sinon fallacieux. Aux détracteurs africains de la CPI qui voient dans celle-ci un instrument partial, je souhaiterai dire la chose suivante : les Etats africains n’en sont pas les cibles privilégiées mais bien les utilisateurs primordiaux. En effet, les Etats de l’Afrique ont été non seulement une force motrice et ont joué un rôle crucial dans le processus de création de la CPI mais ils se sont aussi révélés les plus actifs en référant volontairement à la Cour des cas de violation massive du droit international commis sur leurs territoires. En agissant de la sorte, la République Démocratique du Congo, l’Ouganda, et la République Centrafricaine ont reconnu l’utilité de la Cour. De la même manière, aujourd’hui, nous estimons nécessaire et urgent que la CPI agisse au Mali, afin de vérifier si des crimes de guerre et crime contre l’humanité y ont été commis depuis l’éclatement en janvier dernier de la grave crise dans laquelle ce pays est plongé. Différentes sources, y compris

des fonctionnaires de haut rang des Nations Unies, ont rapporté que des crimes de guerre, notamment en référence aux massacres perpétrés à Aguel hoc sur des militaires loyalistes maliens, et l’enrôlement d’enfants soldats, mais aussi des exactions contre la population civile, tels que des meurtres, des enlèvements, des viols, auraient été commis par différents groupes armés qui occupent la partie nord du pays. Ceci justifie tout au moins l’ouverture d’une enquête préliminaire et nous appelons le nouveau Procureur, Mme Fatoumata Bensouda, à agir dans ce sens.

Si Les Etats parties et la communauté internationale ont un rôle essentiel à jouer pour garantir que la CPI ne se résume pas à un simple tigre en papier, celle-ci doit aussi améliorer ses méthodes de travail. La CPI ne peut envisager d’être efficace, dans son travail d’investigation et de poursuites, par sa seule présence à la Haye. La multiplication et la dissémination de bureaux de représentation et de liaison sur le terrain, une collaboration accrue avec les défenseurs de droits humains et les communautés affectées dans les pays en situation, lui permettraient sans aucun doute de défier ses limites ou failles actuelles, et de répondre de manière adéquate à la nature ou à l’étendue des crimes commis dans certains pays. Sensibiliser et informer les populations concernées, accroître la participation des victimes, en particulier celles plus vulnérables, comme les femmes et les enfants, dès le début du processus est aussi un moyen pertinent pour la Cour de remplir la part la plus essentielle de son mandat : fournir un sens partagé de la justice et une compréhension majeure de son travail aux victimes des crimes qu’elle entend poursuivre et juger. Ceci est également crucial pour assurer un acquis ou un héritage à long terme dans les pays concernés en faveur de l’établissement d’une paix durable et de l’affirmation de l’Etat de droit.

Aussi imparfaits et incomplets que soient les mécanismes de la CPI, ils contribuent à la réalisation d’un idéal pour lequel nous militants radicaux avons lutté et continuons de lutter avec ténacité. Ils sont aussi le fruit et l’incarnation d’une conviction profonde que nous n’avons cessé d’affirmer : loin de s’opposer, la paix (la paix durable et réelle, fondée sur la primauté du droit) et la justice sont les deux faces d’une même médaille, le rétablissement de l’une dans les pays meurtris par des conflits où la violence a fait rage ne peut advenir sans la pleine affirmation de l’autre.

Auteurs*:

- Demba Traoré, Ex-député malien, secrétaire général du Parti Radical Nonviolent, Transnational et Transparti,.

- Niccolo’ Figa-Talamanca, Secrétaire général de « No Peace Without Justice ».

- Nicola Giovannini, Président de « Droit au Droit ».

 

Lire l’article publié dans le journal Le Soir (Belgique)